Introduction à la vie non-fasciste

[…] On pourrait dire que l’Anti-Œdipe est une

Introduction à la vie non-fasciste.

Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles soient installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de vie quotidienne :

  •  Libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante ;
  •  Faites croître l’action, la pensée et les désirs par prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et hiérarchisation pyramidale ;
  • Affranchissez-vous des vielles catégories du négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune), que la pensée occidentale a si longtemps sacralisées comme forme du pouvoir et mode d’accès à la réalité.
  •  Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniforme, le flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire, mais nomade ;
  •  N’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire ;
  •  N’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique ;
  •  N’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse des « droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis, l’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est désindividualiser par la multiplication et le déplacement les divers agencements.
  • Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de « désindividualisation » ;
  • Ne tombez pas amoureux du pouvoir.
Michel FOUCAULT

Les illégalistes

Le révolutionnaire est un illégaliste par excellence. L’homme dont les actes sont toujours conformes à la loi ne sera au mieux qu’un animal bien domestiqué, mais jamais un révolutionnaire.

La loi conserve, la révolution régénère. Si l’on veut donc changer, il faut commencer par briser la loi.
Prétendre que la révolution peut se faire en respectant la loi est une aberration, un contresens. La loi est un joug et qui veut s’en libérer doit le briser.

Quiconque fait miroiter aux travailleurs l’émancipation du prolétariat par la voie légale est un escroc, car la loi interdit d’arracher des mains des nantis la richesse qu’ils nous ont volée. Leur expropriation au bénéfice de tous est la condition essentielle à l’émancipation de l’humanité.

La loi est un frein et ce n’est pas avec des freins qu’on se libère. La loi castre et les châtrés ne peuvent prétendre être des hommes.
Toutes les libertés conquises par l’humanité sont l’oeuvre d’illégalistes qui se sont emparés des lois pour les réduire en miettes.
Les tyrans meurent poignardés et nul article du code ne saurait nous en débarrasser.
L’expropriation ne peut se faire qu’en écrasant la loi et non en la subissant.

C’est la véritable raison pour laquelle, si nous voulons être révolutionnaires, nous devons être illégalistes. Il nous faut sortir des sentiers battus et ouvrir de nouveaux chemins aux transgressions.

Rébellion et légalité sont inconciliables. Qu’on laisse la loi et l’ordre aux conservateurs et aux bonimenteure.

Ricardo Flores Magon

Une vie sans État ni argent ni autorité au-dessus de nos têtes ?

C’est quoi l’anarchie ? Comment vivre sans argent, sans État, sans prisons, concrètement.

Au préalable, nous répétons toujours que nous ne sommes pas des politiciens et que nous ne faisons pas de la politique. Tout simplement, nous ne prétendons pas posséder de recette, de programme ou de solution livrée clé en main à la misère de ce monde. Nous ne souhaitons pas que les gens nous suivent, aussi vrai que nous ne voulons suivre ni obéir à personne, nous ne sommes pas des militants. Il appartient à chacun de trouver sa propre façon de lutter, de porter des coups à ceux qui nous pourrissent la vie, aucune nécessité de rendre des comptes à quiconque. Nous ne voulons pas d’une énième organisation inutile dont le seul but serait de se perpétuer dans de vieilles formes malgré l’évolution rapide du monde, nous sommes des individus, pas des soldats.

Mais si nous n’avons pas de solution, alors pourquoi lutter ? Parce que nous faisons le pari qu’un monde libéré au maximum de la domination est possible, et si nous nous trompons, alors tant pis, au moins nous n’aurons jamais trahi nos désirs profonds de liberté, au moins, nous avons rêvé, mêmes éveillés, alors que tant d’autres se sont noyés dans la misère et l’isolement. Dans ce numéro, comme dans les numéros précédents et futurs, nous parlerons de liberté.

Qu’il s’agisse de la liberté en général, de divers épisodes de liberté ou d’entraves à celle-ci. Alors bonne lecture.

Nous nous opposons par tous les moyens qui nous semblent justes, à tout ce qui se place sur le chemin de notre liberté. Pour cette raison, nous voulons en finir avec l’État, avec tous les États. Nous voulons en finir avec l’économie et nous débarrasser de toute forme d’autorité, qu’elle soit institutionnelle, formelle ou informelle, physique, morale ou mentale. Bien sûr, il ne s’agit pas d’un jeu consistant à pisser plus loin que tout le monde : abolir toute forme d’autorité, dans nos bouches, ne signifie pas abolir l’autorité de soi sur soi-même. Entendre par là, notre capacité à contrôler avec justesse nos sentiments et nos passions au gré des événements, à faire preuve de discernement dans nos façons de s’associer librement avec nos semblables.

Ce monde que nous portons dans nos cœurs est incompatible avec celui-ci. Et toutes les tentatives du passé ont montré qu’il ne servait à rien d’essayer d’expérimenter la liberté totale dans son coin sans avoir préalablement détruit l’autorité.

On s’amuse, on s’amuse, mais un jour ou l’autre, un propriétaire viendra réclamer ses terres, un flic ou un gendarme viendra défoncer la porte, la société se venge toujours de ses marges. Pour ces quelques raisons nous voulons détruire la société, par l’intelligence si possible, et par la force si nécessaire.

Tout ce qui affaiblit le pouvoir, le déstabilise, l’abolit et qui ne perd pas de vue le monde débarrassé de toute domination que nous portons dans nos cœurs, tout cela est bon, c’est de cela que se nourrit ce journal.

Oui, nous sommes révolutionnaires, et nous n’avons pas peur de le dire. Il n’est question d’aucune clandestinité, nous sommes prompt à porter nos idées avec nous dans la rue, à faire nos propositions de rupture avec l’existant à quiconque veut bien prendre son temps pour discuter. La police a beau nous harceler, nous incarcérer, nous tuer, nous sommes des millions à travers le monde à combattre l’ordre, de mille manières différentes, anarchistes ou non, révoltés avant tout.
Notre but n’est pas de faire peur, il n’est pas non plus de se donner une bonne image ni d’être respectables, notre but est la transformation du monde et des rapports qui régissent les relations entre humains.

Nous voulons uniquement vivre nos existences libérées de toute contrainte extérieure, des chefs, des flics, des juges, des profs, des citoyens et de toutes les autres canailles. Peut être bien que faire peur à nos ennemis ne nous dérange pas plus que ça, certes, mais cela n’est en aucun cas un but profond de notre action.

Avec ce journal, nous essayons modestement de contribuer à la pollinisation de la révolte contre l’existant, à la discussion et à la diffusion de nos idées, souvent appelées « anarchistes ». Et si nous souhaitons imposer notre liberté à quiconque aurait pour volonté de l’entraver, nous ne souhaitons pas particulièrement imposer l’anarchie à quiconque n’en voudrait pas. De toute manière, l’anarchie est affaire de relations consenties, de libre-association des individus et d’entraide, autant de choses qui nécessitent la réciprocité et la volonté de mettre la main à la patte sans y être forcé par une autorité quelconque, fut-elle anarchiste.

Lorsque les médias nous décrivent telle une horde de barbares assoiffés de sang, comme des terroristes, ils ne font qu’entretenir un fantasme qui fait bien leur affaire. On pourra alors attribuer des pratiques répandues et vieilles comme le monde à de petits groupes d’agitateurs iconoclastes reconnus afin de pouvoir les isoler, et d’une pierre deux coups, de pouvoir bannir ces pratiques en les qualifiant de criminelles, hors-la-loi ou terroriste.

Nous parlons bien sur de toutes les formes de rétributions sociales vieilles comme la domination : l’attaque, la vengeance sociale, le sabotage, l’incendie, l’émeute ou le scandale en font partie. Les insurrections ne sont pas menées par quelques bandes d’anarchistes organisés en tant que tel, mais par des foules de révoltés.
À travers l’histoire, les anarchistes ont toujours participé aux révoltes et aux insurrections de leur temps, mais ils n’ont jamais cherché à en prendre la tête, ils ont toujours lutté à l’intérieur comme à l’extérieur de toute révolution afin de se débarrasser des chefs. Nous ne sommes pas des adorateurs de la violence, celle-ci n’est qu’un moyen adapté pour parvenir à nos fins, elle est nécessaire mais elle n’est en rien une fin en soi.
Si tu n’es pas prêt à remettre en question cette vie de merde, alors nul besoin que ce journal n’effleure même que ton groin. Si tu es prêt à mettre ta vie en jeu pour protéger la domination, alors tu es un problème et nous devrons nous combattre jusqu’à ce que l’un de nous cède, et nous ne cédons pas. Si par contre, tu es prêt à te mettre en jeu pour en finir avec ce triste monde fétide, et bien alors, peut être bien que ce journal t’intéressa parce qu’il y est question de rage, de liberté, de la guerre sociale en cours depuis toujours. Il est le produit de
la libre-association de quelques anarchistes dans le but ponctuel de sa conception et de sa diffusion.
Il s’agit d’emmerder nos ennemis, de pointer du doigt les responsables de notre oppression et de donner de la force à nos amis, amants, compagnons, frères et sœur de lutte qui se sentent isolés dans cette vallée de larmes.
Voilà, peut être comprends-tu mieux maintenant ce que nous voulons faire avec ce bout de papier. Qui sait, peut être pouvons nous nous entendre pour conspirer contre ce monde, quitte à jeter quelques coups d’épée dans le vent comme Don Quichotte, quitte à en finir une bonne fois pour toute avec le pouvoir.
On ne sait jamais.
« Que le poète transforme sa lyre en poignard !
Que le philosophe transforme sa sonde en bombe !
Que le pêcheur transforme sa rame en une formidable hache.
Que le mineur sorte des antres étouffantes des mines obscures armé de son fer brillant.
Que le paysan transforme sa bêche féconde en une lance guerrière.
Que l’ouvrier transforme son marteau en faux et en haches.

Et en avant, en avant, en avant ! »

 

Renzo Novatore,
1921

Les anarchistes et le sentiment moral

Le nombre de ceux qui se disent anarchistes est tellement grand aujourd’hui et sous le nom d’anarchie on expose des doctrines tellement divergentes et contradictoires, que nous aurions vraiment tort de nous étonner lorsque le public, nullement familiarisé avec nos idées, ne pouvant distinguer du premier coup les grandes différences qui se cachent sous le même mot, demeure indifférent vis-à-vis de notre propagande et nous témoigne aussi de la défiance.

Nous ne pouvons naturellement empêcher les autres de se donner le nom qu’ils choisissent, quant à renoncer nous- mêmes à nous appeler anarchistes, cela ne servirait à rien, car le public croirait tout simplement que nous avons tourné casaque.

Tout ce que nous pouvons et devons faire, c’est de nous distinguer nettement de ceux qui ont une conception de l’anarchie différente de la nôtre, et qui tirent de cette même conception théorique des conséquences pratiques absolument opposées à celles que nous en tirons. Et la distinction doit résulter de l’exposition claire de nos idées, et de la répétition franche et incessante de notre opinion sur tous les faits qui sont en contradiction avec nos idées et notre morale, sans égards pour une personne ou un parti quelconque. Car cette prétendue solidarité de parti entre des gens qui n’appartenaient ou n’auraient pu appartenir au même parti, a été précisément l’une des causes principales de la confusion.

Or, nous sommes arrivés à un tel point, que beaucoup exaltent chez les camarades les mêmes actions qu’ils reprochent aux bourgeois, et il semble que leur unique critère du bien ou du mal consiste à savoir si l’auteur de tel ou tel acte se dit ou ne se dit pas anarchiste. Un grand nombre d’erreurs ont amené les uns à se contredire ouvertement dans la pratique avec les principes qu’ils professent théoriquement, et les autres à supporter de telles contradictions ; de même qu’un grand nombre de causes ont amené au milieu de nous des gens qui au fond se moquent du socialisme, de l’anarchie et de tout ce qui dépasse les intérêts de leurs personnes.

Je ne puis entreprendre ici un examen méthodique et complet de toutes ces erreurs, aussi me bornerai-je à traiter de celles qui m’ont le plus frappé.

Parlons avant tout de la morale.

Il n’est pas rare de trouver des anarchistes qui nient la morale. Tout d’abord, ce n’est qu’une simple façon de parler pour établir qu’au point de vue théorique ils n’admettent pas une morale absolue, éternelle et immuable, et que, dans la pratique, ils se révoltent contre la morale bourgeoise, sanctionnant l’exploitation des masses et frappant tous les actes qui lèsent ou menacent les intérêts des privilégiés. Puis, peu à peu, comme il arrive dans bien des cas, ils prennent la figure rhétorique pour l’expression exacte de la vérité. Ils oublient que, dans la morale courante, à côté des règles inculquées par les prêtres et les patrons pour assurer leur domination, il s’en trouve d’autres qui en forment même la majeure partie et la plus substantielle, sans lesquelles toute coexistence sociale serait impossible ; — ils oublient que se révolter contre toute règle imposée par la force ne veut nullement dire renoncer à toute retenue morale et à tout sentiment d’obligation envers les autres ; — ils oublient que pour combattre raisonnablement une morale, il faut lui opposer, en théorie et en pratique, une morale supérieure : et ils finissent quelquefois, leur tempérament et les circonstances aidant, par devenir immoraux dans le sens absolu du mot, c’est-à-dire des hommes sans règle de conduite, sans critère pour se guider dans leurs actions, qui cèdent passivement à l’impulsion du moment. Aujourd’hui, ils se privent de pain pour secourir un camarade ; demain, ils tueront un homme pour aller au lupanar !

La morale est la règle de conduite que chaque homme considère comme bonne. On peut trouver mauvaise la morale dominante de telle époque, tel pays ou telle société, et nous trouvons en effet la morale bourgeoise plus que mauvaise ; mais on ne saurait concevoir une société sans une morale quelconque, ni un homme conscient qui n’ait aucun critère pour juger de ce qui est bien et de ce qui est mal pour soi-même et les autres. Lorsque nous combattons la société actuelle nous opposons, à la morale bourgeoise individualiste, la morale de la lutte et de la solidarité, et nous cherchons à établir des institutions qui correspondent à notre conception des rapports entre les hommes. S’il en était autrement, pourquoi ne trouverions-nous pas juste que les bourgeois exploitent le peuple ?

Une autre affirmation nuisible, sincère chez les uns, mais qui, pour d’autres, n’est qu’une excuse, c’est que le milieu social actuel ne permet pas d’être moraux, et que, par conséquent, il est inutile de tenter des efforts destinés à rester sans succès ; le mieux, c’est de tirer des circonstances actuelles le plus possible pour soi-même sans se soucier du prochain, sauf à changer de vie lorsque l’organisation sociale aura changé aussi. Certainement, tout anarchiste, tout socialiste, comprend les fatalités économiques qui obligent aujourd’hui l’homme à lutter contre l’homme ; et il voit, en bon observateur, l’impuissance de la révolte personnelle contre la force prépondérante du milieu social. Mais il est également vrai que, sans la révolte de l’individu, s’associant à d’autres individus révoltés pour résister au milieu et chercher à le transformer, ce milieu ne changerait jamais.

Nous sommes, tous sans exception, obligés de vivre, plus ou moins, en contradiction avec nos idées ; mais nous sommes socialistes et anarchistes précisément dans la mesure que nous souffrons de cette contradiction et que nous tâchons, autant que possible, de la rendre moins grande. Le jour où nous nous adapterions au milieu, nous n’aurions plus naturellement l’envie de le transformer et nous deviendrions de simples bourgeois ; bourgeois sans argent peut-être ; mais non moins bourgeois pour cela dans les actes et dans les intentions.

Errico Malatesta

À la mémoire de l’insurrection de Kronstadt

Le 7 mars est une journée d’affliction pour les travailleurs de la soi-disante ”Union des républiques Soviétiques

et Socialistes”, qui ont participé d’une façon ou d’une autres aux événements qui se sont déroulé ce jour là à Kronstadt. La commémoration de ce jour est aussi pénible pour les travailleurs de tous pays, car elle rappelle ce que les ouvriers et marins libres de Kronstadt exigèrent du bourreau rouge, le ”Parti Communiste Russe”, et de son instrument le gouvernement soviétique, en train d’assassiner la révolution russe.

Kronstadt exigea de ces pendeur étatistes la restitution de tout ce qui appartenait aux travailleurs des villes et des campagnes, en vertu du fait que c’étaient eux qui avaient accompli la révolution.Les Kronstadiens exigèrent la mise en pratique des fondements de la révolutions d’Octobre : ”Election libres des soviets, liberté de parole et de presse pour les ouvriers et paysans, les anarchistes les socialistes révolutionnaires de gauche”.
Le Parti Communiste Russe vit en cela une atteinte inadmissible à sa position monopolistique dans son pays et, dissimulant son lâche visage de bourreau derrière un masque de révolutionnaire et d’amis des travailleurs, déclara contre-révolutionnaire les marins et ouvriers libres de Kronstadt, puis lança contre eux des dizaines d’argousins et d’esclaves soumis : Tchekistes, Koursantis, membres du Parti… afin de massacrer ces honnêtes combattants révolutionnaires et dont le seul tort était de s’indigner devant le mensonge et la lâcheté du Parti Communiste Russe qui piétinait les droits des travailleurs et de la révolution.
Le 7 mars 1921, à 18h45, un ouragan de feu d’artillerie fut déclenché contre Krondstadt. il était naturel et inévitable que Krondstadt révolutionnaire se défende. C’est ce qu’il fit, non seulement au nom de ses exigences,
mais aussi en celui des autres travailleurs du pays qui luttaient pour leurs droits révolutionnaires, foulés arbitrairement par le pouvoir bolchevik.
Leur défense se répercuta dans toute la Russie asservie, toute prête à asservir leur juste et héroïque combat, mais malheureusement impuissante, car elle était alors désarmée, constamment exploitée et enchaînée par les détachements répressifs de l’Armée Rouge et de la Tcheka, formés spécialement pour écraser l’esprit et la volonté libres du pays.
Il est difficile d’évaluer les pertes des défenseurs de Kronstadt et la masse aveugle de l’Armée Rouge, mais il est néanmoins certain qu’il y aie eu plus de dix milles morts. Pour la plupart, ce furent des ouvriers et des paysans, ceux-là même dont le Partit du mensonge s’était le plus servi pour s’emparer du pouvoir, en les dupant des promesses d’un avenir meilleur. il s’en était servi pendant des années uniquement pour ces propres intérêts de parti, afin de développer et de perfectionner sa domination toute puissante sur la vie économique et politique
du pays.
Kronstadt défendit tout ce qu’il y avait de meilleur dans la lutte des ouvriers et des paysans dans la révolution russe contre l’oligarchie bolchévique. C’est pour cela que cette dernière extermina les kronstadiens, en parti immédiatement après sa victoire militaire, le reste dans ses casemates et ses cachots, hérités de l’ordre tsariste et bourgeois. Parmi ceux qui purent gagner la Finlande, beaucoup sont encore internés dans des camps de concentration.
Ainsi comprise, la journée du 7 mars doit apparaître comme un moment douloureusement ressenti par les travailleurs de tous pays. Ce jour-là, ce n’est pas seulement chez les seuls travailleurs russes qui doivent revivre le
souvenir pénible des révolutionnaires de Kronstadt ayant péri dans la lutte et des rescapés qui pourrissent dans les geôle bolchéviques. Mais ce n’est pas avec des gémissements que l’on résoudra la question : en dehors de la commémoration du 7 mars, les travailleurs de tous pays doivent organiser partout, tant sur les forfaits accomplis par le Parti Communiste Russe à Kronstadt, contre le ouvriers et marins révolutionnaires, que pour la libération des survivants encadenassés dans les prisons bolchéviques et enfermés dans les camps de concentrations de Finlande.
Nestor Makhno
À la mémoire de l’insurrection de Kronstadt
1926

Rubicon

Un autre Rubicon a été franchi. Ce qui était malheureusement prévisible n’a pas tardé à se réaliser, favorisé par un petit jeu diplomatique dégueulasse entamé par les Etats-Unis. Suite à leur annonce de vouloir constituer une armée régulière stationnée le long de la frontière turco-syrienne — en enrôlant une partie importante de combattants des YPG kurdes au nord de la Syrie —, le régime d’Ankara a lancé le 19 janvier une offensive militaire contre l’enclave d’Afrin tenue par ces derniers.
De toute évidence, cette offensive a été préparée de longue date, comme en témoigne par exemple l’intégration de nombreux groupes armés islamistes aux côtés des soldats turcs (membres de l’OTAN), une intégration qui ne se réalise pas en quelques jours. Il est difficile de croire que les différentes puissances présentes dans le conflit syrien, notamment la Russie qui contrôle les airs, n’étaient pas au courant. Quoi qu’il en soit, des accords tacites ont été manifestement donnés, l’aviation turque bombardant à sa guise les positions des YPG et des villages autour d’Afrin, ainsi que la ville même. Une fois de plus dans l’histoire, la population kurde — et pas seulement — fait les frais d’un terrible jeu international.
Que nous n’ayons pas adhéré aux louanges de la « révolution au Rojava » tressés par quasi toute la gauche et une partie considérable d’anarchistes, tient à de nombreuses raisons. Une des plus importantes est sans doute le fait que toute tension révolutionnaire sur place reste subordonnée à la hiérarchie aguerrie issue d’une très classique version stalinienne de la lutte de libération nationale.
Que les soulèvements non sans esprit libertaire de ces dernières années — y compris en Syrie — aient aussi provoqué des répercussions jusque dans les appareils du mouvement kurde nous semble également un fait indiscutable, ouvrant effectivement la voie à une approche moins centralisée et moins dirigiste de la lutte au Kurdistan. Par contre, cela ne change rien au fait qu’un appareil politico-militaire reste un appareil, « obligé » de faire tout ce que prescrit la stratégie politique : alliances imbuvables, brusques revirements, répression des voix discordantes, propagande hypocrite. Tout en reconnaissant l’importance des combats livrés par des milliers d’hommes et de femmes, au Rojava syrien comme dans les montagnes de Turquie, animés par une certaine idée de libération, les louanges nous semblaient pour le moins déplacés, sinon mystifiants, lorsque la hiérarchie des YPG signait en pleine révolution syrienne un « accord » avec le régime sanguinaire d’Assad pour s’assurer de la gestion d’une partie du territoire syrien (« c’était une nécessité stratégique ») ; qu’ensuite elle concluait des accords militaires avec des pays comme les Etats-Unis pour s’assurer de livraisons d’armes et d’entraînements avec ses instructeurs (« sinon comment se défendre face à Daesh ? ») ; qu’elle ne cherchait jamais à étendre le « conflit révolutionnaire » en dehors des confins du Kurdistan (« il faut être réaliste ») par exemple en appelant à lutter contre les démocraties européennes plongées jusqu’au cou dans la prolongation de cette guerre ; et qu’au final, triste nécessité, elle acceptait la présence d’au moins deux mille soldats américains, français et autres sur son « territoire libéré », allant aujourd’hui jusqu’à offrir l’installation de deux bases américaines dans le Rojava, l’une à Rmeilan et l’autre au sud-est de Kobané. Peut-être sommes-nous bornés, mais en tant qu’anarchistes, nous continuons à avoir du mal à percevoir comment une véritable révolution sociale pourrait se réaliser sous les ailes protectrices des F-16 américains et des forces spéciales françaises.
***
Ceci dit, rester à l’écart de ce conflit dans une sorte d’indifférence molle pour ne pas avoir à se salir les mains nous semble tout aussi inacceptable que de fermer les yeux devant la direction hiérarchique des YPG et sa doctrine politico-militaire. L’offensive turque à Afrin fait par exemple écho à la guerre que le régime d’Erdogan livre au Kurdistan en territoire turc à coups de massacres, de bombardements et d’exécutions — d’ailleurs non sans rencontrer une très forte résistance. Au fond, ce sont les termes mêmes de la question qu’il faudrait changer. Et cela vaut aussi, nous semble-t-il, pour tant d’autres conflits traversés par de très vastes stratégies géopolitiques, que ce soit au Yémen où la guerre continue sans trêve, dans le reste de la Syrie, en Palestine où la guerre s’intensifie à nouveau, en Ukraine ou dans maints pays d’Afrique.
Certes, nous pouvons apporter notre soutien aux groupes de combat anarchistes qui se sont constitués au Kurdistan avec des perspectives révolutionnaires affirmées. Et même si des informations plus précises font pour l’instant défaut — au moins pour nous — quant à leurs activités et positionnements face à la hiérarchie militaire des YPG, nous ne pouvons que reconnaître une véritable volonté internationaliste chez les compagnons qui se sont engagés dans ce combat, tout en espérant que leurs expériences et retours critiques aideront à mieux comprendre la situation. Ailleurs aussi, nous pouvons de la même façon apporter notre solidarité aux anarchistes pris dans une guerre ou subissant des régimes répressifs particulièrement féroces. Oui, nous pouvons faire tout cela, mais pas seulement.
A ce propos nous reviennent en tête les paroles de Louis Mercier Vega, inlassable combattant anarchiste ayant traversé de nombreuses situations de conflits aigus sur différents continents, des mots datant de 1977, en pleine explosion de guérillas et de guerres : « Quant à la sempiternelle considération que tout acte, tout sentiment exprimé, toute attitude fait le jeu de l’un ou l’autre antagoniste, elle est sans nul doute exacte. Le tout est de savoir s’il faut disparaître, se taire, devenir objet, pour la seule raison que notre existence peut favoriser le triomphe de l’un sur l’autre. Alors qu’une seule vérité est éclatante : nul ne fera notre jeu si nous ne le menons pas nous-mêmes. Ne pas vouloir participer aux opérations de politique internationale, dans l’un des camps en lutte, ne signifie pas qu’il faille se désintéresser de la réalité de ces opérations. » Mener notre propre jeu, donc. Par crispation identitaire ? Par fermeture idéologique face à des réalités sociales et historiques complexes ? Par crainte de s’embourber et de servir de petites mains ? Au-delà de ces difficultés, quelques raisonnements nous amènent pour bien d’autres motifs à partager la perspective ici énoncée par le vieux combattant acrate.
Le premier part du fait que si l’autorité n’est pas accoucheuse de liberté, qu’elle ne l’a jamais été, et que nulle auto-organisation ne peut surgir d’une approche autoritaire, centraliste et hiérarchisée de la lutte, il n’en demeure pas moins que des tensions vers l’auto-organisation et la liberté sont souvent présentes au sein même de ces conflits, y compris lorsque ceux-ci sont dominés par des courants autoritaires (par exemple avec une idéologie de libération nationale ou de communisme). Dans ce cas, on sait d’avance que les appareils de ces organisations de lutte n’hésiteront tôt ou tard pas à réprimer, écraser, récupérer ou éliminer ces tensions, tout en faisant montre (souvent, pas toujours) de prudence pour ne pas perdre le contrôle de la situation. Plutôt que mettre de fait leurs énergies et enthousiasmes à disposition d’un tel appareil, les anarchistes ne pourraient-ils pas à l’inverse imaginer des façons de soutenir, défendre et élargir ces tensions vers l’auto-organisation et la liberté, tout en préparant et en se préparant à l’inévitable confrontation décisive avec les forces autoritaires ?
Nombre d’exemples du passé — de l’Ukraine libertaire de 1917-1921 à l’Espagne révolutionnaire de 1936, voire lors de situations de conflits très intenses dans les années 70 —, nous montrent comment les anarchistes et les tensions libertaires au sein de vastes pans de la population perdent en vitesse et en force, finissant par être vaincus avec plus ou moins de facilité, avec plus ou moins de terreur et de massacres, à force d’attendre que les autoritaires se «démasquent» tous seuls en déclenchant leur répression finale. Il est difficile de prévoir le moment d’une rupture insurrectionnelle à l’intérieur d’un conflit qui inclut une importante présence autoritaire, mais il est cependant certain que si l’initiative ne vient pas des anti-autoritaires, que si ce n’est pas nous qui franchissons les points de non-retour, la révolution sociale est vouée à une mort certaine.
Un deuxième raisonnement, plus lié à une situation de guerre comme c’est le cas aujourd’hui dans plusieurs régions de la planète, est que mener notre jeu, c’est-à-dire combattre pour la libération totale et pour détruire tout pouvoir, doit certes prendre en compte des analyses sur la situation politique, sur les enjeux stratégiques ou sur les projets de la domination afin d’avoir l’indispensable connaissance des conditions dans lesquelles se déroule la lutte, mais que cette connaissance ne devrait pas venir se substituer au projet anarchiste lui-même. Pour être clairs, nous ne devrions en aucun cas mettre notre projet de destruction de tout pouvoir entre parenthèses, y compris au nom de notre solidarité avec ceux qui se battent. Se solidariser, s’impliquer directement dans une lutte d’opprimés contre des oppresseurs ne devrait ainsi pas impliquer de soutenir les premiers quand ils veulent à leur tour s’ériger en nouveaux oppresseurs. Cela peut effectivement nous amener à garder une certaine distance avec des situations de conflit particulières, faute de disposer d’un point de référence qui nous aide à saisir les tensions libertaires présentes en son sein, et dans l’impossibilité de pouvoir y prendre part directement sans se placer sous les ordres d’une hiérarchie quelconque.
Par contre, tout en restant dans le cas d’une telle situation, si nous analysons les rapports intrinsèques entre guerre extérieure et guerre intérieure, entre l’intervention militaire menée par un État dans un pays lointain et ses nécessaires maintiens de l’ordre, serrages de vis et intensifications de l’accumulation capitaliste à l’intérieur, il est difficile de ne pas voir toutes les possibilités d’intervention qui s’offrent à nous. Prenons par exemple le cas des opérations militaires françaises au Sahel menées au nom de l’« anti-terrorisme ». Faute de disposer d’un point de référence sur place qui pourrait ouvrir la possibilité d’une intervention révolutionnaire directe et internationaliste, cela n’empêche en rien d’agir ici même, dans l’Etat d’où partent ces opérations, dans celui qui s’en sert pour ressouder le consensus social entre dominés et dominants, pour réaliser d’importants bénéfices ou pour resserrer la surveillance contre tout un chacun…
***
Alors oui, faire notre jeu. Mais est-ce que notre jeu consiste juste à élaborer de belles théories depuis le quai pendant que la tempête fait rage au large ? Pendant que des milliers de personnes crèvent sous les bombes et se font massacrer au nom d’un quelconque pouvoir ? Non, impossible d’accepter une telle position si on ne veut pas jeter à la poubelle la cohérence révolutionnaire qui devrait caractériser notre agir, la sensibilité qui loge au cœur de tout ennemi de l’autorité, l’éthique qui nous distingue, parfois à un prix chèrement payé, de la politique et du calcul. Notre action ne devrait donc pas consister en déclarations de principe solennelles ou en protestations symboliques. Face aux massacres perpétrés hier en ex-Yougoslavie ou aujourd’hui à Afrin, au Yémen, en Syrie, dans les montagnes du Kurdistan, en Palestine, en maints pays d’Afrique, en Birmanie ou ailleurs,… il faut agir en anarchistes, c’est-à-dire aux ordres de personne et au seul nom de la liberté, par exemple en frappant la guerre là où elle est produite. Dans les entreprises militaires, dans la logistique des armées, dans les profiteurs de guerre, dans les convois et les transports de matériel d’approvisionnement, dans leurs centres de recherche : en réalité, de nombreuses pistes se présentent à qui veut s’opposer — concrètement — à la guerre en cours.
Ces dernières années, plusieurs efforts ont déjà été faits dans une telle direction et demeurent d’une actualité brûlante, comme en Italie où des engins de chantier d’entreprises construisant une nouvelle base militaire ont été brûlés dans le sud, où le laboratoire Cryptolab de l’université de Trente et le pôle Meccatronica qui participent à la recherche militaire ont été livrés aux flammes. Comme en Belgique aussi, où trois grandes entreprises du secteur militaire ont brûlé, ravageant dans deux cas la quasi entièreté de ces fabricants de mort. Sous un autre angle encore, des infrastructures logistiques de l’armée et des industries de guerre ont aussi fait l’objet de sabotages, comme à Bâle où le chemin de fer servant au transport de troupes suisses a été saboté, comme à Munich où le tronçon ferroviaire pour marchandises utilisé par un grand complexe militaro-industriel a été saboté, comme à Sant’Antioco en Italie où un convoi militaire a été paralysé ou comme dans le Trentin, toujours en Italie, où des antennes de télécommunication militaires ont brûlé. Parfois même, certaines attaques ont directement ciblé les forces armées, comme à Munich lorsqu’un camion militaire a été livré aux flammes, à Montevideo où une Académie Militaire a reçu des molotov, à Decimomannu en Italie, où un incendie est venu frapper l’aéroport militaire, à Brême en Allemagne, où 18 véhicules militaires du génie ont été calcinés, à Dresde où un véhicule militaire a brûlé, ou en France aussi lorsqu’une caserne de la gendarmerie (qui est un corps militaire) a été incendiée ou des voitures de gendarmes brûlées juste sous leur nez. Des échos d’attaques contre les profiteurs et les intermédiaires de guerre se sont également fait jour, comme ces sabotages en Italie contre les intérêts de la multinationale du pétrole et du gaz ENI, impliquée dans le conflit libyen, ou comme à Paris lorsqu’une attaque incendiaire contre des camions-toupies de Lafarge a certes échoué, mais non sans rencontrer un écho à Toulouse le mois suivant, où trois de ces mêmes camions ont flambé. Lafarge-Holcim est un cimentier qui a d’importants intérêts économiques en Syrie, où il a d’un côté construit des bunkers pour le compte du régime d’Assad, et de l’autre collaboré financièrement avec Daesh au nom du business as usual, lorsque ses cimenteries se trouvaient dans le territoire occupé par ces derniers.
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Ces quelques pistes et exemples récents ne sont pas destinés à nous aider à trouver plus facilement le sommeil pendant que les massacres continuent. Ce ne sont pas des litanies à réciter pour mettre sa propre conscience en paix. Ils trouvent simplement leur place ici parce que dans les faits, il est possible d’attaquer la guerre, en nous suggérant des possibilités d’intervention là où nous sommes. Le projet anarchiste de libération totale ne saurait — encore moins en ces temps de militarisation accrue et de guerres à tout va — se passer d’un approfondissement sur comment intervenir dans de telles situations, qu’on se trouve au cœur du conflit ou, disons, à une certaine distance géographique. De tels approfondissements, en s’exprimant à travers l’attaque, parleront sans doute beaucoup plus de notre conception de la liberté et de la solidarité avec ceux qui se battent contre une oppression, qu’en ralliant des étendards qui ne peuvent pas être les nôtres.
2018

Recommencer

Recommencer, toujours. C’est le sort, qui peut sembler quelque peu tragique, de tous ceux qui sont en guerre contre ce monde d’horreurs infinies. En cours de route, certains tombent sous les coups, d’autres ne résistent pas aux sirènes qui appellent à se résigner et à rentrer dans les rangs, voire retournent carrément leur veste. Les autres, celles et ceux qui persistent se battre entre hauts et bas, doivent à chaque fois retrouver force et détermination pour recommencer. Pourtant, à bien à y réfléchir, la tragédie n’est pas de recommencer, de repartir de zéro, mais d’abandonner et de se trahir soi-même. La conscience, toujours individuelle, peut être un fardeau lourd à porter, et devient cruelle quand on l’a trahie sans disposer de suffisamment d’anesthésiants. Car ce monde n’en manque pas, et les distille même à volonté. Une petite carrière alternative à son propre compte, des dimanches pour aller s’émerveiller dans un parc naturel, un projet humanitaire ou culturel, voire des drogues carrément plus dures : écrans en tout genre, réalités et socialités virtuelles, abrutissement total. Non, un tel sort nous effraie bien plus que toutes les souffrances, que toutes les peines liées à l’échec de détruire l’autorité.
Alors, recommencer. Pour affûter les consciences dans un monde qui les prend pour cible en lançant contre elles ses poisons mortels. Car qu’est-ce que l’acceptation, la résignation et la soumission, sinon l’étouffement de sa propre conscience, justifié – ou pas – par les conditions dans lesquelles nous sommes tous embourbés ? « Ils sont trop forts », « les gens sont trop bêtes », « ma survie est déjà trop dure », « c’est trop loin de ma niche » n’en sont que quelques classiques. Alors, affûter les consciences, c’est aussi reprendre goût aux idées qui permettent de voir, de distinguer plus nettement les contours de ceux qui coulent du ciment sur la liberté, et en même temps ouvrir des horizons afin de pouvoir regarder, ne serait-ce que furtivement, au-delà des murs et des antennes, au-delà des prisons et des laboratoires, au-delà des massacres et des soldats. Les idées ne s’achètent pas au supermarché et ne s’approfondissent pas sur internet. C’est chaque individu qui se les approprie pas à pas jusqu’à les chérir, et qui les défend aussi contre vents et marées, surtout dans des temps comme les nôtres où le totalitarisme démocratique, marchand et technologique prétend supprimer tout élan, installer des esclavages et des dépendances encore plus perfides. Quelque part, c’est le trésor le plus important de l’anarchiste : sa conviction qu’il n’y a pas d’aménagement possible entre la liberté et l’autorité, qu’elles s’excluent mutuellement, partout et toujours. Mille institutions, organisations, idéologies cherchent à détruire ce trésor. Que ce soit un État qui baigne dans le sang les cris enfin réveillés des opprimés d’hier ou le technocrate qui parle de liberté pour désigner un système technologique qui étend chaque jour davantage son emprise aux quatre coins de la planète. Que ce soient les futurs chefs qui cherchent à mener la danse d’un mouvement de colère ou l’habile acrobate de la rhétorique qui s’efforce d’enlever toute signification aux attaques portées contre ce monde. Si nous parlions de recommencer, c’est pour signifier notre volonté de reprendre, une fois de plus, l’approfondissement de nos idées, pour les rendre toxiques à tous les autoritaires qui s’en approchent, et vitalisantes pour tous les amants de la liberté qui les embrassent. C’est pour recommencer une fois de plus, dans les contextes qui nous sont donnés et qui ont beaucoup changé en quelques années, à élaborer notre projet anarchiste de toujours : détruire l’oppression et l’exploitation. Au fil du temps, si nous nous y attelons, surgiront d’autres expériences, d’autres tentatives, d’autres échecs : tout cela fait partie de notre arsenal, de notre patrimoine si on veut, qui, plutôt que de nous faire sombrer dans une mélancolie plombante, pourrait nous armer pour reconstruire un projet de libération individuelle et collective, une perspective révolutionnaire. Certes, il est impossible d’éviter des erreurs, de ne pas se retrouver à des moments dans un cul-de-sac, de ne pas naufrager dans les mers tempétueuses, mais ces échecs-là font partie à part entière de nos parcours. Comme le disait cet anarchiste du début du XXe siècle : « Nous allons avec ardeur, avec force, avec plaisir dans tel sens déterminé parce que nous avons la conscience d’avoir tout fait et d’être prêts à tout faire pour que ce soit la bonne direction. Nous apportons à l’étude le plus grand soin, la plus grande attention et nous donnons à l’action la plus grande énergie. (…) Pour précipiter notre marche, nous n’avons pas besoin des mirages nous montrant le but tout proche, à portée de notre main. Il nous suffit de savoir que nous allons… et que, si parfois nous piétinons sur place, nous ne nous égarons pas. »
Mais les idées à elles seules ne nous suffisent pas. Savoir que l’autorité est notre ennemie, et que tout ce qui l’incarne est donc une cible, des politiciens aux flics, des technocrates aux officiers, des capitalistes aux contre-maîtres, des prêtres aux indics, est une chose ; se projeter dans la destruction nécessaire des rapports sociaux, des structures et des réseaux qui leur permettent d’exister en est une autre. Les vases communicants entre l’idée et l’action sont au cœur de l’anarchisme. Pour que l’idée ne flétrisse pas, il faut l’action pour la revigorer. Pour que l’action ne tourne pas en rond, il faut l’idée pour l’enchanter. Les idées pour corroder les mentalités d’obéissance, les idéologies et les soumissions ; l’action pour détruire les structures et les hommes de la domination. Et s’il est toujours l’heure pour agir, s’il est toujours temps pour frapper ce qui exploite et opprime, l’agir ne saurait pourtant être un simple réflexe conditionné, il ne peut pas se contenter de répondre (ré-agir) au seul cas par cas avec rage et fracas. Pour que l’agir devienne vraiment agir, dans une perspective anarchiste et révolutionnaire, l’initiative doit venir de nous, dans une offensive qui parte de nos individualités, nos imaginations, nos analyses et nos déterminations. Comme agir ne nous est pas donné et qu’il ne tombe pas du ciel, réfléchir sur son comment est indispensable. C’est pour cela que nous ne pouvons que remettre sur la table une fois encore la question de la projectualité, notre capacité autonome à projeter idées et actions directement dans le champ de l’ennemi.
Attendre que « les gens » – cette abstraction creuse venue se substituer au défunt prolétariat – prennent conscience et désirent la liberté, s’efforcer de les « éduquer », ne nous convient pas. Pas seulement parce que cela ne marcherait pas, mais aussi parce qu’une telle perspective est désormais complètement obsolète (si jamais ce n’était pas déjà le cas, ou pas partout) face au bombardement constant des esprits et des sensibilités effectué par la domination. Avancer petit-à-petit, lutte par lutte, mouvement social par mouvement social, vers le grand moment où tout convergerait enfin pour annoncer le bouleversement total, ne nous convient pas non plus : si dans toute révolte contre ce qui nous est imposé somnole toujours le potentiel de la remise en question de tout au-delà de son point de départ initial, trop de freins, de répétions et de canalisations sont à l’œuvre dans ce genre de mouvements sociaux pour que sautent les digues et que s’ouvre l’inconnu de la subversion.
Reste alors, pardonnez-nous d’aller un peu vite, la possibilité d’agir en anarchistes, pour notre compte – mais afin d’aller bien plus loin que nous-mêmes. Rendre les coups est une base, élaborer une projectualité pour non seulement frapper, mais aussi détruire les digues de la domination en est un prolongement plus que désirable. C’est là que nous rentrons dans les sphères de l’insurrection : la perspective de faire sauter les digues, de déchaîner les mauvaises passions comme disait l’autre, d’ouvrir un arc dans le temps pour pouvoir donner des coups autrement plus cinglants à l’État et au Capital. Il n’existe évidemment pas de recettes de l’insurrection, malgré les appels du pied des léninistes modernes recyclant sous des habits un peu moins rapiécés la vieille recette de la prise du pouvoir (cette fois par le bas). Mais sans recettes, il n’empêche que des hypothèses anti-autoritaires peuvent tout de même être réfléchies, mises à l’épreuve et explorées : d’une lutte contre une réalisation spécifique du pouvoir à l’intervention autonome lors d’accès de fièvre, de la paralysie d’infrastructures permettant la reproduction quotidienne de l’esclavage salarié au bouleversement impétueux et soudain des plans d’un ennemi en phase de restructuration à l’issue encore incertaine. Expérimenter dans sa vie même de telles hypothèses insurrectionnelles sur des bases anarchistes, même à petite échelle (la nôtre), nous amène en tout cas bien loin des dortoirs ennuyeux du militantisme, des ritournelles spéculatives sur ce que pensent ou pas « les gens », sur ce que « le milieu » fait ou ne fait pas, loin de l’attente du prochain mouvement social, et ainsi de suite. Cela signifie prendre soi-même l’initiative de l’attaque selon ses propres modes et temporalités.
Penser une perspective insurrectionnelle et anarchiste nous amène enfin forcément à la question de comment nous nous organisons pour avancer dans ce sens. Que les syndicats, y compris plus ou moins libertaires, n’en soient pas les instruments adéquats est assez évident, surtout par les temps qui courent où les anciennes « communautés » basées sur le travail ont été soigneusement sectionnées et dissoutes par les avancées du capital. Il en va de même pour les grandes organisations anarchistes, avec leurs sections, congrès, résolutions et sigles. Moins évident est peut-être le fait que les grandes assemblées (qu’on aime parer de l’adjectif « horizontales ») ne s’y prêtent pas non plus. Que, sans nier la place importante qu’a la discussion ouverte et contradictoire au sein des luttes et des révoltes, et donc l’éventuel intérêt d’y participer, les anarchistes ne devraient en tout cas pas se cantonner à participer à ces moments d’échange, mais aussi s’organiser en dehors de ceux-ci. Que le meilleur élément pour garantir les vases communicants entre idée et action, pour donner une réelle autonomie d’action, est l’affinité entre individus : la connaissance réciproque, des perspectives partagées, des disponibilités à l’action. Et qu’ensuite, pour donner plus d’incisivité, augmenter les possibilités, élaborer une projectualité plus vaste, coordonner les efforts, apporter son aide à des moments potentiellement cruciaux, peut aussi naître entre toutes ces constellations affinitaires – toujours selon les nécessités d’un projet – une organisation informelle, c’est-à-dire une auto-organisation sans nom, sans délégation, sans représentation… Et pour être clairs : les organisations informelles sont elles aussi multiples, en fonction des objectifs. La méthode informelle n’aspire pas à rassembler tous les anarchistes dans une même constellation, mais permet de multiplier les coordinations, les organisations informelles, les groupes affinitaires. Leur rencontre peut arriver sur le terrain d’une proposition concrète, d’une hypothèse ou d’une projectualité précise. C’est là toute la différence entre une organisation informelle, aux contours forcément « flous et souterrains » (c’est-à-dire sans quête de projecteurs vis-à-vis de quiconque), et d’autres types comme les organisations de combat, pour lesquelles l’important est presque toujours d’affirmer leur existence pour espérer peser sur les événements, donner des indications quant aux chemins à suivre, être une force qui rentre dans la balance des équilibres du pouvoir. L’organisation informelle se projette ailleurs : fuyant l’attention des chiens de la domination, elle n’existe que dans les faits qu’elle favorise. Bref, elle n’a pas de nom à défendre ou à affirmer, elle n’a qu’un projet à realiser. Un projet insurrectionnel.
Voilà donc d’où nous recommençons : par les temps qui courent, où les révoltes peinent à éclater, et sont plus en défensive qu’en offensive, où la guerre avance parallèlement à la mise-en-cage technologique du monde, où le maillage du contrôle se resserre contre tout le monde, et donc aussi contre les anarchistes, où l’adhésion de nombre d’opprimés au système qui les abrutit constitue comme toujours la meilleure défense dont la domination peut se munir, nous nous obstinons à vouloir propager nos idées de liberté à travers une lutte sans compromis avec l’autorité. En dehors des chemins battus, par affinités et organisations informelles, conscients de la nécessité de la révolution sociale, indépendamment du fait qu’elle puisse paraître proche ou plus lointaine, pour transformer de fond en comble les rapports sociaux sur lesquels repose toute société autoritaire. Propageant donc des idées et des échos d’attaques destructrices contre les structures et les hommes qui incarnent l’oppression et l’exploitation, afin d’ouvrir des horizons insurrectionnels.
[Avis de tempêtes, Bulletin anarchiste pour la guerre sociale, n. 1, 15/1/2018]

« Déchicanisation » : comme un malaise

Nous publions ici cette lettre depuis le Chiapas pour mettre des paroles à nos sentiments. Une bonne analyse, de loin.

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Lettre ouverte à une amie sur la situation présente à Notre-Dame-des-Landes après l’abandon par le gouvernement français du projet d’aéroport, mais non de celui d’expulser de la ZAD ses occupants « illégitimes »

Chère B,

J’entends bien que tu as participé en toute honnêteté, en toute conscience de militante, et non née des dernières pluies, comme quelques autres de mes lointain-e-s et proches, à un processus démocratique – ou du moins défini tel par la logique dominante – de discussion, aboutissant à la décision majoritaire de « dégager », sur le site de NDDL, l’emblématique ROUTE DES CHICANES : décision dont cependant tu dis toi-même craindre qu’elle ne génère des « accrochages » (ce qui signifie, à mes yeux : qu’elle ne cristallise des divisions, voire de violentes oppositions et fractures internes, ce qu’attend vraisemblablement le pouvoir).
Je ne suis évidemment pas en position d’en contester la validité, ni d’en prédire les conséquences. Je n’ai, comme l’on dit, pas voix au chapitre.

20141002_094_balade_a_la_zad_web_cc_valk-medium“la zad sera la tomba del capitalismo”

Mais permets-moi de te soumettre, depuis mon (pas si) lointain Mexique, quelques interrogations et réactions.

1.
Pourquoi si vite ? Pourquoi devancer l’ultimatum du pouvoir ? Cela sent (pardon, mais j’ai le nez exercé) le marchandage occulte, les arrangements de sous la table. Qui réellement négocia avec qui ? Qui s’engagea à quoi ? Et surtout : Qui lâcha qui(s) dans cette affaire ? Qui a (ont) intérêt à « calmer le jeu » en perspective d’une « négociation » sur l’avenir de la ZAD », soit, sur l’occupation productive du territoire ? Et enfin : au prix de quel abandon ?

2.
Pourquoi une décision régie par le principe mathématique de la majorité, ce qui signifie : contre une minorité ? N’aurait-il pas été plus sage et plus conforme à la dynamique historique de NDDL, de se donner la peine (comme l’on fait dans les communautés indigènes du Mexique ou d’ailleurs, et particulièrement au sein du mouvement néo-zapatiste au Chiapas) de parvenir – et tant pis pour le temps que cela exige – à une décision UNANIME ? N’est-ce pas se soumettre au modèle frelaté de « démocratie » que toute l’expérience de NNDL précisément récuse ?

3.
Cette hâte à nettoyer la route, quels qu’en soit les motifs argumentables affichés, s’apparente, en termes tactiques, à déposer les armes avant qu’aucune garantie de paix n’ait été donnée par l’ennemi : erreur fatale comme l’attestent mille exemples historiques. Pour mémoire – pardon si je parle encore depuis le Mexique – : l’EZLN, quoiqu’engagée dans un processus pacifique, n’a jamais déposé les armes, consciente qu’elle est de l’absolue duplicité du pouvoir.

4.
En termes symboliques, cela me paraît franchement désastreux. Il y a comme un fantasme hygiéniste à l’œuvre dans cette opération. Effacer des traces, ce n’est jamais innocent. La route en question constitue l’une des plus fortes images (mémoire-trace-symbole) de la résistance, une forme concrète d’affirmer : « No pasarán »… S’empresser de vouloir la dégager, disponibiliser, normaliser, propriser, sous le prétexte de passer à une étape « constructive » (les précédentes ne le furent-elles donc pas ?), cela me semble vouloir effacer du même coup l’énorme portée de son nom même : route des CHICANES, c’est-à-dire des fragiles entraves, des « remparts de brindilles » que les exclus de l’ordre dominant, les impossibles, les irréductibles, les sans-titre et sans-nom, soit, comme dirait Eduardo Galeano, les NADIES, construisent, comme ils peuvent, avec des débris de métal rouillé, des pneus crevés, etcétéra, pour l’empêcher d’avancer davantage, ne serait-ce qu’un temps, pour l’empêcher de parvenir à les écraser définitivement. Détruire les chicanes, c’est alors, toutes proportions évidemment gardées, comme démolir les vestiges des maisons bombardées pour reconstruire l’après-guerre dans une logique d’oubli. On sait aujourd’hui où conduisent les logiques d’oubli : à la renaissance de toutes les formes du fascisme.

5.
Je suis consterné par les propos, relayés par Europe 1, de Julien Durand, porte-parole de l’Acipa, justifiant la décision de dégager la route sur le thème ‘tourner la page’, (je ne sais pas si cette inquiétante expression est de lui ou des journalistes) :
“Puisque que le projet de Notre-Dame-des-Landes est abandonné, il n’y a plus de menace et nous ne sommes donc plus dans une phase de résistance. Désormais, il faut penser autrement, c’est-à-dire penser l’avenir de la zone pour qu’il y règne une bonne entente, une sérénité, et un dialogue pour aboutir à une vie quotidienne normale.”
Ils me semblent d’un angélisme accablant – « bonne entente », « sérénité » = déni de toute dimension politique et du caractère éminemment fécond de la conflictivité inhérente à cette expérience communautaire hétérogène -, et par ailleurs gravement réducteurs : il ne s’agissait donc QUE de l’opposition au projet d’aéroport – et alors « on a gagné » – et non pas, en même temps et transcendant cette opposition, d’une expérience historique exceptionnelle et par essence a-normale, hors-norme, innormalisable, qui demeure, quant à elle, évidemment menacée ? Il ne s’agit donc plus de résister à l’ordre dominant (qui ne s’est pas miraculeusement aboli avec l’abandon du projet) en continuant de nourrir la « page », mais seulement de la « tourner »? Seulement de revenir à « une vie quotidienne normale » ?

6.
Parlons, puisque l’occasion s’en présente, des rapports entre la « page » et sa/ses « marge(s) » : c’est un paradigme pertinent, tout aussi bien pour comprendre quelque chose dans l’histoire du long processus dit d’hominisation (qui nous séparerait, comme certain-e-s s’obstinent encore à croire, de ce qu’elles-ils nomment les bêtes) que dans celui de la construction (individuelle ou collective) d’une quelconque pensée, d’une quelconque pratique dans les sociétés humaines, ou dans celle des rapports sociaux eux-mêmes, et, surtout, DANS CE QU’IL EN RESTE POUR AUTRUI, c’est-à–dire dans ce que l’on transmet à celles et ceux qui nous survivront. Pages nettes, « mises au propre » (comme on disait à l’école), utiles à l’avenir, bonnes à communiquer, qui se taisent pudiquement ou bien obscènement (sacrifice rituel en forme de déni d’origine) sur leur envers, c’est-à-dire, en vérité, sur ce qui les nourrit et les fonde : ces marges sales, saturées de taches et de graphes informes ; ces marges honteuses que « l’ordre public » enjoint de s’effacer, dans le passage du brouillon au texte publiable. Or si c’est seulement la page que retient l’Histoire (ou du moins l’Histoire officielle), ce sont pourtant ses marges, et elles seulement, qui la font UNE histoire, NOTRE histoire.

7
L’une des dimensions essentielles de cette expérience n’était-elle pas qu’elle aura permis, comme et plus que quelques rares autres, à des jeunes et moins jeunes « en rupture de système », c’est-à-dire porteurs de la plus belle, la plus saine espérance de sortir enfin, de forme « légale » ou non, mais de sortir EN ACTES, à leur propre manière, de ce cycle de mort qu’on nous impose pour seul destin, seul horizon possible – de se reconstruire comme sujets en reconstruisant collectivement, comme disent nos frères zapatistes, un « autre monde possible où trouvent place tous les mondes » ? Si ce sont eux qui doivent aujourd’hui, au motif apparemment consensuel du « désengagement de la route des chicanes », se trouver sacrifiés sur l’autel de la « normalisation » ou de la « pacification », alors, chère B., l’aventure exceptionnelle de NDDL tombera misérablement, pour notre plus grande honte, dans les tristes et lugubres poubelles de l’Histoire.

Janvier 2018
Marc Georges Klein

La non-vie

Nous pouvons choisir de rester enfermés dans une prison de règles, d’obligations imposées contre chaque sensation d’utilité et nécéssité. Faite de violence entre humains frustrés dans la même condition de nombre, un nombre qui nous rappelle la classe à la liberté concédée.

Nous avons laissé réprimer l’individu jusqu’à le faire devenir un banal engrenage d’une infinie machine de compétition pour le pouvoir et la richesse. Avons choisi de déléguer l’intuition, le sentiment, la spontaneité et l’ingéniosité à tout un ensemble de petits mots écrits qui droguent la réalité et freinent la liberté d’exister et d’être.

Si nous regardons et reussissons encore à regarder hors de ces petits mots, nous nous rendons compte de que nous ne sommes pas seuls ; nous nous rendons compte que la résistance à l’aliénation de la vie peut être touchée et peut être vécue.

De cette résistance, de la liberté a été conquise. Ces îles de liberté sont aux alentours de nous – dans des métropoles, dans des campagnes et dans des forêts. Revendiquer et protéger ces lieux de non-vie avec tout les moyens que nos sensibilitées perçoivent est la forme plus concrètre d’une résistance réelle dans l’écoulement des saisons.

De Hambach à la ZAD à la Val di Susa, dans tous les lieux de spontanéité, nous reconnaissons leur non conformité au monde d’aujourd’hui.

Avec un savoir commun et avec toutes nos capacités individuelles, projetons nous dans le futur, sans nous laisser domestiquer, en recherchant de remplir les infinis vides qui nous entourent, en détruisant les murs qui les délimitent.

Agitons nous, excités par la condition d’étranglement que nous percevons. Construisons tout ce que nous sommes, en nous laissant la liberté de nous tromper et d’apprendre de nos erreurs.

Nos chaînes sont brisées et nous avons commencé à vivre la liberté – la défendre est la seule chose qui nous fait nous sentir en vie – complices avec chaque forme de résistance à la vie.

La terreur ce n’est pas celui qui cherche la liberté qui la fait , mais celui qui a à protéger les valeurs de la société des egos malades et violents.

La Taverne – une histoire commence …

Le petit laboratoire boulanger de l’Ancre Noire – la Taverne, une histoire comence …

Le pain, la Terre, remettre les mains à la pâte de l’aventure humaine
Et former la matière réconfortante
La chaire moelleuse en dilétante
Prête à se transmutter sous la chaleur de nos fourneaux

En ces matins d’hiver
Pour que nos idées se partagent et s’émultionnent
Comme une mie généreuse qui s’adonne
Et se lève en une unité rêveuse
Nourrissante d’espérités

Diversité de pâtes, selon culture et philosophie
Pain du monde, pain de l’âcre

La petite boulangerie, un lieu libre d’expression des savoirs-faire de l’autonomie et d’épanouissement des créativités, un lieu de malaxage de pâte, de rencontres à odeurs de pizzas sauvages au feu de bois…

Bienvenue a tous les naufragé.e.s, venez vous réchauffer… allumez le feu et faites vous mêmes plaisir!


Et la pelle de four à pain perquisitionnée par l’État ainsi sera vengée.